Middle East Watch
La revue de presse alternative pour un Moyen Orient libre
© George – décembre 2024
Le Monde
samedi 28 محرم 1430
Toutes les versions de cet article :
Moins d’une semaine après la fin de l’offensive israélienne contre la bande de Gaza, le ministre de la justice de l’Autorité palestinienne, Ali Kasham, a rencontré, jeudi 22 janvier à La Haye, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno Ocampo. Le ministre palestinien a déposé une déclaration de compétence auprès du greffe de la juridiction.
Chargée de poursuivre les responsables de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, la Cour ne peut poursuivre que les ressortissants d’Etats qui ont ratifié son statut ou qui ont commis des crimes sur le territoire de tels Etats. Or ni Israël ni l’Autorité palestinienne ne l’ont fait. Une disposition prévoit cependant que, faute de ratification, un Etat peut donner à la Cour une compétence ad hoc.
Le ministre de la justice a donc déposé une déclaration en ce sens remontant au 1er juillet 2002, date de l’établissement de la juridiction. Si les territoires palestiniens ne constituent pas un Etat, comme le soulignent plusieurs juristes, la déclaration déposée au greffe de la Cour pourrait conduire le procureur "à ouvrir une analyse", estiment-ils, c’est-à-dire une information judiciaire, pour déterminer s’il est ou non compétent.
Le même jour, une délégation conduite par Me Gilles Devers, au nom de 350 organisations propalestiniennes, selon l’avocat français, était reçue par le chef de l’Unité des preuves du bureau du procureur à La Haye. Elle déposait plainte pour, selon son texte, les crimes commis depuis le 27 décembre 2008, date du début de l’offensive israélienne marquée par un nombre sans précédent de victimes (plus de 1 300, de sources palestiniennes) et les bombardements de bâtiments de l’ONU où s’étaient réfugiés des civils. Des organisations pro-israéliennes devraient également mettre en cause les milices palestiniennes responsables de tirs de roquettes sur le territoire israélien.
Depuis sa création en 2002, des dizaines de plaintes ont été déposées à la Cour, dont plusieurs concernent le conflit israélo-palestinien. Mais ces plaintes ne contraignent pas le procureur à se saisir des crimes allégués. L’ouverture de poursuites par la Cour est un processus complexe. Elle ne peut, par exemple, agir que si les Etats n’en ont pas les moyens ou la volonté.
Cette situation a incité, au cours des dernières années, de plus en plus d’Etats à se donner une compétence universelle pour de tels crimes. Plusieurs organisations envisagent d’ores et déjà de se tourner vers ces juridictions. Pour les plaignants, le "jeu" consiste à trouver le territoire sur lequel leurs plaintes auront le plus de chances d’aboutir. Deux plaintes, déposées au cours des dernières années devant les tribunaux espagnols et britanniques à l’encontre d’officiers israéliens, sont toujours actives.
Selon la presse israélienne, conscient des risques de poursuites, le gouvernement israélien étudie sa riposte. Placée sous la direction du ministre de la justice, Daniel Friedmann, une équipe interministérielle a été constituée jeudi. Elle détiendrait déjà les films que fait réaliser l’armée pendant ses opérations. Le procureur général Menahem Mazuz, également conseiller juridique du gouvernement, a décidé de maintenir la censure sur les noms des officiers en charge des unités engagées dans l’opération de Gaza.
Les militaires les plus exposés aux accusations de crimes de guerre sont pour l’instant le chef d’état-major, Gabi Ashkenazi, le chef de l’armée de l’air, Ido Nehoushtan, et le responsable de la région sud qui englobe Gaza, Yoav Galant. Ils devraient solliciter à l’avenir un feu vert pour certains de leurs déplacements, particulièrement en Europe.
Pour les plaignants, l’arsenal judiciaire implique de disposer de preuves. En visite à Gaza, le 20 janvier, le secrétaire général de l’ONU, Ban ki-Moon, a estimé que les responsables des bombardements contre des bâtiments de l’ONU devraient être identifiés et "rendre des comptes devant des instances judiciaires". Plusieurs voix ont appelé à la création d’une commission d’enquête indépendante. Pour Antoine Bernard, directeur exécutif de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), "la question des preuves est la raison pour laquelle les Israéliens ont fermé l’accès à Gaza" et "il ne faudrait pas que la reconstruction soit l’occasion de détruire des preuves", s’inquiète-t-il.