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Proche-Orient : le rôle médiateur des Etats-Unis en question

Le Monde - Chat du 22 janvier 2009 avec Bertrand Badie

jeudi 26 محرم 1430, par Bertrand Badie

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Pedro : Dans quelle mesure la communauté internationale est responsable de la guerre de Gaza ? Le fait d’avoir rejeté les résultats du scrutin de 2006 remporté par le Hamas ne constitue-il pas une faute grave ? Le précédent du FIS en Algérie vainqueur des élections de 1988 et aussitôt rejeté par les militaires soutenus par la communauté internationale provoquant la guerre civile que l’on connaît n’a pas servi ?

Bertrand Badie : Très certainement. On peut d’ailleurs, avec profit, distinguer plusieurs paliers de responsabilités. Tout d’abord, le choix tacite opéré par la communauté internationale de pérenniser ce conflit, de s’installer dans un processus dont on sait qu’il n’aboutira que très improbablement à une paix réelle crée au sein de la population palestinienne un double sentiment de frustration et d’incrédulité face à la politique menée par Mahmoud Abbas. Ainsi, les logiques de long terme conduisaient de façon certaine à une radicalisation au sein même des mouvements palestiniens extérieurs à l’Autorité, et suscitaient un capital de violence dont on a vu qu’il a trouvé largement son écho auprès d’Israël.

Mais il y a aussi un second niveau, celui que vous désignez à travers la non-reconnaissance du Hamas. Quel que soit le jugement que l’on porte sur ce mouvement, sur ses orientations idéologiques et sur la nature de ses motivations, il était depuis longtemps évident que le Hamas était incontournable et devait d’une manière ou d’une autre participer à un processus de négociation dans lequel il s’était d’ailleurs discrètement inséré en acceptant de participer aux élections législatives qu’il avait, rappelons-le, gagnées.

Et il y a encore un troisième niveau de responsabilité, propre notamment à l’Union européenne. Dans un contexte de menace montante, alors que chacun savait qu’Israël était prêt à lancer une offensive meurtrière sur Gaza, l’Europe a rehaussé sa coopération avec Tel-Aviv, donnant ainsi un signal de confiance et de soutien que la diplomatie israélienne n’a pas manqué d’utiliser pour conforter ses positions au moment où la guerre a commencé. La maladresse de Nicolas Sarkozy, recevant Mme Livni au premier jour du conflit, avec embrassades sur le perron de l’Elysée entre les chefs de la diplomatie française et israélienne, a incontestablement créé chez les responsables israéliens la conviction qu’ils pouvaient se lancer dans une opération majeure sans risquer une condamnation ferme de la part de la diplomatie occidentale.

Pan : Quelle est aujourd’hui la crédibilité de l’ONU qui apparait incapable d’avoir une quelconque influence sur le conflit ?

Bertrand Badie : Le Moyen-Orient ne réussit pas aux Nations unies. Depuis la guerre de 1967, aucune initiative venue de la Maison de verre n’a pu sérieusement aboutir. On distinguera peut-être quelque peu le cas du Liban, avec l’aboutissement de la résolution 425 sur l’évacuation du Sud-Liban par l’armée israélienne et le rôle positif et efficace accompli par la mission onusienne dans le maintien de la paix depuis la guerre de 2006, comme l’ont d’ailleurs montré les événements récents de Gaza, qui n’ont en rien, ou presque, distrait le calme à la frontière libano-israélienne.

Sur l’essentiel, c’est-à-dire la question palestinienne, aucune des résolutions des Nations unies n’a abouti, et ce notamment du fait du veto américain. Les Nations unies, du même coup, se trouvent reléguées dans un rôle moindre certes, mais non négligeable, d’expression morale. La résolution 1860 sur le cessez-le-feu, même si elle a essuyé l’abstention des Etats-Unis, a incontestablement contribué à faire pression sur Israël.

Le rôle du secrétaire général Ban Ki-moon n’a en rien été négligeable : le fait qu’il se soit déplacé en personne à Gaza est un signe d’autant plus fort que sa mission s’est accompagnée de propos exceptionnellement fermes à l’encontre des violations par Israël de certains principes du droit de la guerre.

Le fait, en outre, que des agences onusiennes aient été victimes de ce conflit et aient été les cibles de tirs israéliens a incontestablement contribué à réintégrer les institutions onusiennes dans ce conflit d’une manière qui pèsera probablement lourdement sur les suites que la communauté internationale pourra lui donner.

Mais pour l’essentiel, tout se passe comme si l’ensemble des diplomaties du monde était depuis longtemps convaincu que la solution de la question palestinienne passait par d’autres voies que celle du multilatéralisme institutionnalisé, ce qui est dommage, d’une part pour le système onusien, mais probablement aussi pour l’avenir de la négociation, car décidément, on ne voit pas qui peut efficacement se substituer aux Nations unies pour porter un règlement crédible de cette crise.

M. Simonson : Quel serait l’arbitre le plus crédible dans ce conflit ?

Bertrand Badie : Justement, aujourd’hui, on n’en voit pas, ou presque pas. L’Europe aurait pu jouer un rôle capital, d’autant plus efficace que la disparition de l’URSS a créé un très fort déséquilibre de puissance dans la région et que le parrainage consenti par les Etats-Unis à Israël aurait de tous les points de vue gagné à être rééquilibré par une vision différente et libre que l’Europe aurait pu porter. On le regrettera d’autant plus qu’une voie avait été ouverte en ce sens : dès les années 1970, l’Europe avait construit une vision propre et distincte du conflit dans cette région, dont elle est d’ailleurs très proche. Cette indépendance de vue a été par la suite confirmée, notamment par le sommet de Venise (1980) et celui de Berlin (1999).

L’élargissement et la crise irakienne ont été pour beaucoup dans la modification de cette ligne. D’abord, les équilibres diplomatiques ont été profondément modifiés, avec l’entrée de nouveaux pays, beaucoup plus proches des Etats-Unis et d’Israël, peu enclins en outre à laisser, comme naguère, à la France un rôle d’initiative dans la définition de la politique moyen-orientale de l’Europe.

La division de l’Union suite à l’intervention américaine en Irak a approfondi le phénomène, créant un clivage fort au sein de ses membres et conduisant ceux qui avaient tenu tête aux Etats-Unis à adopter ensuite, comme par compensation, une attitude beaucoup plus conciliante à l’égard de Washington.

Mais le vrai tournant est celui de janvier 2006, lorsque l’Europe, après avoir encouragé la tenue d’élections libres en Palestine et avoir admis leur régularité, a, notamment par la voix de Javier Solana, refusé a priori tout contact avec le gouvernement du Hamas issu des urnes.

Une fermeture s’est alors installée, qui a conduit à toutes les radicalisations les moins favorables à la paix et qui a empêché l’Europe de tenir un rôle de médiateur. Comment peut-on être médiateur entre deux protagonistes d’un conflit lorsqu’on refuse même de connaître l’un des deux ? Cette équation a été fatale au rôle diplomatique de l’Union. On voit en revanche comment certains peuvent ramasser la mise. Certainement pas l’Egypte et les pays dits "modérés" du camp arabe, car leur autorité s’est trouvée considérablement affaiblie par leur passivité dans les semaines qui ont précédé l’éclatement du conflit, et par une proximité jugée trop forte avec les Etats-Unis, voire Israël.

Mais en revanche, la Turquie a réussi de façon assez spectaculaire à se placer dans ce conflit dans une position pratiquement exclusive : Ankara semble aujourd’hui le seul des acteurs régionaux à être audible par tous, à avoir eu l’intelligence de ne pas rompre ses liens avec le Hamas, sans avoir pour autant réellement remis en cause ses relations avec Tel-Aviv. Evidemment, on peut s’interroger sur l’ampleur de la capacité diplomatique de la Turquie : peut-elle à elle seule prendre une initiative crédible ? Ou peut-elle - ce qui sera probablement le cas - jouer l’honnête courtier au nom d’acteurs plus forts qui n’osent plus se montrer ou ne peuvent pas le faire de manière efficace. D’autant qu’Ankara dispose de bonnes cartes dans son jeu : sa présence au Conseil de sécurité, sa participation à l’OTAN qui lui vaut l’écoute de Washington et des relations qu’elle a su approfondir avec la Syrie et maintenir avec Téhéran.

John Reed : Croyez-vous à une diplomatie de succès dans la région maintenant que les liens entre l’Union européenne et les Etats-Unis de Barack Obama sont appelés à se renforcer ?

Bertrand Badie : Je ne suis pas sûr que les liens avec l’Europe soient au centre des préoccupations de Barack Obama. Il a été en tous les cas fort discret sur le Vieux Continent, tant dans son discours d’investiture que tout au long de la campagne électorale. Il est très difficile de préjuger de ce que sera la "nouvelle" diplomatie américaine au Proche-Orient. Aucun signe n’a pour l’heure été délivré par le nouveau président pour indiquer sa volonté de rupture. Il est certain, en revanche, que la nouvelle administration dispose d’un état de grâce qui devrait lui permettre de prendre des initiatives fortes.

Mais la vraie question qu’il convient de se poser est de se demander si le rôle "médiateur" des Etats-Unis au Proche-Orient n’est pas maintenant réellement usé. Crédible après 1973 grâce notamment aux initiative volontaristes de Henry Kissinger, la démarche proactive de Washington a trouvé son ultime réalisation dans les accords de Camp David dont on va bientôt célébrer les trente ans. Depuis, aucune initiative majeure n’a abouti à un résultat tangible de quelque nature que ce soit.
L’attente du monde arabe et au tout premier plan des Palestiniens semble s’être émoussée. Les cartes dont pouvait disposer l’administration américaine se sont émoussées. Les formules qui se sont succédé, et notamment la fameuse feuille de route, ont perdu de leur crédibilité. On sait depuis toujours qu’un gladiateur n’a aucune chance d’être un médiateur. On sait depuis fort longtemps qu’une solution dans la région n’est possible que si elle implique tout le monde. Ce qui conduira d’une manière ou d’une autre, et inévitablement, à une réévaluation des acteurs locaux, et notamment de ceux qui ont été le plus rebelles à l’alliance avec les Etats-Unis.

La véritable équation diplomatique est de savoir comment et jusqu’à quel point l’administration Obama acceptera d’ériger l’Iran, la Syrie, le Hezbollah, le Hamas en partenaires d’un jeu dont il faudra inévitablement repenser les contours. Jusqu’à présent, l’obsession américaine était de changer les régimes de la région jusqu’au ce que la carte du Moyen-Orient ne compte que des alliés des Etats-Unis, prompts dès lors à suivre comme un seul homme une solution globale d’inspiration américaine et en fait favorable à Israël. Si cette formule a démontré qu’elle ne marche pas, alors il faudra la remplacer par une conception entièrement nouvelle des partenariats, dont on ne sait rien aujourd’hui car on ne sait même pas si elle emporte l’adhésion du nouveau président américain.

Que pourront faire dans ce climat nouveau des acteurs jusque-là peu diserts comme la Russie, voire la Chine ? La question mérite d’être posée et son actualité risque d’être hâtée par l’échec de l’Union européenne, qui a hélas perdu sa place.

Sheedk_1 : L’enjeu de cette guerre pour le trio Barack, Olmert et livni est electoral. Netanyahu est donné favori, quel est l’espoir de paix ?

M. Simonson : Que pensez-vous de la rhétorique d’Ehoud Barak, sur la menace iranienne ?

Bertrand Badie : La pression du jeu électoral est incontestable. Du point de vue de la science politique, elle montre d’ailleurs, contre les idées reçues, que le jeu démocratique ne favorise pas toujours, tant s’en faut, les initiatives de paix. Il y a bien eu entre les leaders israéliens une surenchère dangereuse destinée à montrer à l’opinion publique israélienne qu’aucun d’entre eux n’entendait abdiquer d’une politique de force. Jusqu’à preuve du contraire, celle-ci est bien le dénominateur commun entre les différentes formations israéliennes, et toute la question est de savoir si viendra un jour un leader suffisamment charismatique pour imposer une autre vision du règlement de l’actuel conflit. Personne ne semble pour l’heure se profiler à l’horizon. Pour autant, l’attaque israélienne sur Gaza s’est soldée par un échec que Netanyahu a maintenant beau jeu de dénoncer : le Hamas n’est pas désarmé, les tirs de roquettes sont encore possibles à tout moment sur le sud d’Israël, le soldat isréalien enlevé n’a pas été libéré.

On peut donc imaginer que toute cette violence aura servi à terme la cause du Likoud au lieu de contenir son ascension.
Comme toujours dans cet état d’esprit, l’argument de l’ennemi fait recette. Si une action contre le Hamas n’a pas abouti aux résultats qu’on pouvait escompter, on peut en effet pronostiquer un retour de la question iranienne, pourtant oubliée depuis un certain temps. Je doute pour ma part que la nouvelle administration américaine laissera les responsables israéliens aller trop loin dans une action destinée à alerter l’opinion israélienne et le monde des dangers iraniens. On prétend ici et là que même George W. Bush s’était récemment opposé à une action de Tel-Aviv contre Téhéran. On voit mal Barack Obama le contredire sur ce point.

Z. Safwan : Pourquoi la Syrie se démarque-t-elle des autres pays de la région, notamment l’Egypte et la Jordanie ? N’était-il pas préférable de signer un accord de paix avec Israël en récupérant le Golan par la négociation comme l’a fait l’Egypte, la Jordanie et peut-être même le Liban ? Le récent discours du président Bachar El-Assad au Qatar va à l’encontre de tout ce que proposent le président Hosni Moubarak, le roi Abdallah II ou le président Palestinien Mahmoud Abass.

Bertrand Badie : La question que vous posez est complexe, car elle renvoie à plusieurs histoires. Il y a eu, on le sait maintenant, un long processus de négociation entre la Syrie et Israël, qui avait pour enjeu la récupération du Golan et qui aurait fort bien pu aboutir en contrepartie à une normalisation des relations entre Damas et Tel-Aviv. Rien ne permet aujourd’hui de dire que l’échec de ces négociations soit imputable à un refus total de la Syrie de normaliser ses relations avec Israël.

En revanche, force est d’admettre la concurrence d’une autre histoire, qui a cette fois pour théâtre l’ensemble de la scène moyen-orientale et qui se traduit par un clivage de plus en plus dur, voire de plus en plus dangereux, entre la Syrie et ses alliés d’une part, l’Arabie saoudite et, secondairement, l’Egypte et la Jordanie d’autre part. Ce clivage traduit un véritable scénario de guerre froide à l’intérieur du monde arabe, dans lequel les gains des uns deviennent des pertes pour les autres. On peut légitimement penser que cette rivalité forte, complexe, subtile a contribué à pousser la Syrie vers une politique d’intransigeance diplomatique.

Quand je dis subtile, je pense à toutes les implications, y compris aux liens qui peuvent se tisser entre l’Arabie saoudite et ses alliés salafistes opposés ainsi à un Baath séculier et relativement mal disposé à l’égard de l’islamisme le plus radical. On le voit bien, l’opposition n’est pas si simple qu’on le croit dans certains milieux occidentaux, et fait aujourd’hui de la Syrie l’un des remparts les plus sûrs à un salafisme partout décrié. Ce clivage se complique de sa résonance diplomatique. En jouant de cette intransigeance diplomatique, la Syrie a finalement davantage gagné que les autres Etats arabes de la région. Boycottée par tous, elle est aujourd’hui courtisée par l’Europe, la France en tête, et même aujourd’hui les Etats-Unis, sans parler de la Turquie et des bonnes relations qu’elle a nouées avec l’Iran et, semble-t-il, avec le nouveau Liban. Damas constate que l’intransigeance diplomatique paie dans l’échiquier complexe de la région et n’est donc probablement pas prêt à abandonner cette marque.

Carole : Pensez-vous que le plan franco-égyptien soit encore d’actualité après le retrait des troupes israéliennes de Gaza ?

Bertrand Badie : D’abord, il est difficile de parler d’un plan franco-égyptien. Tout au plus a-t-on vu des initiatives françaises et égyptiennes pour mettre fin au conflit et dont on peut douter de la réelle efficacité. Israël ne pouvait pas continuer indéfiniment son attaque sur Gaza, qu’elle ait choisi d’y mettre fin unilatéralement et juste à temps avant que ne s’établisse une nouvelle administration à Washington montre que l’interférence des pressions diplomatiques européennes ou égyptiennes était faible.

De toute manière, et encore une fois, une vraie initiative au Proche-Orient suppose de pouvoir communiquer avec tout le monde. Le début d’un processus nouveau est peut-être à trouver dans l’appel lancé par Mahmoud Abbas pour former une coalition avec le Hamas. Si à nouveau tous les acteurs palestiniens entrent dans le jeu de la concertation, un espoir de médiation redevient possible. Le problème durant toute cette guerre, c’est qu’il ne pouvait pas y avoir de médiation et qu’il n’y a pas eu de médiation, mais seulement des assauts d’unilatéralisme.

Marwan : Faut-il que la communauté internationale négocie avec le Hamas ? Ou créer les conditions d’une médiation arabe entre Bruxelles, Washington et le Hamas ?

Bertrand Badie : D’abord, force est d’admettre que le Hamas est sorti plutôt consolidé de cette guerre. Il n’a pas été éliminé, il n’a pas été désarmé ; il est aujourd’hui plus courtisé, y compris par Mahmoud Abbas, qu’il ne l’était autrefois ; chacun sait qu’il était au centre même de ce conflit et qu’il devra donc être un partenaire du jeu post-conflit.

D’autre part, on a pu voir combien le Hamas exprimait, y compris dans ses propres contradictions, l’état de décomposition et de frustration de la société palestinienne. Combien sa radicalité n’était que la projection de la société non seulement de Gaza, mais aussi de Cisjordanie.

Au total, cette guerre était bien celle qui opposait un Etat à une société. Penser qu’on peut en sortir sans prendre en compte les acteurs représentatifs de ladite société est totalement illusoire et source de souffrances supplémentaires.

Nyna1 : Comment peut-on réellement discuter avec un groupe terroriste ? Je ne pense pas que le Hamas en ressort consolidé ! Il a massacré son propre peuple

Bertrand Badie : L’histoire est pavée de négociations avec des groupes que l’on tenait, parfois que l’on continue à tenir, pour des terroristes.

Leopard : Le conflit entre Israël et les Palestiniens a-t-il changé de nature ? Si oui en quoi ?

Bertrand Badie : Je ne dirai pas qu’il a changé de nature, car les paramètres sont identiques depuis 1948. En revanche, il évolue de manière forte dans la perception qu’en ont les uns et les autres. Il s’effaçait jadis derrière l’opposition entre l’Etat d’Israël et les Etats arabes de la région. Cette vision interétatique des choses a trouvé son paroxysme avec la guerre de 1967 et n’a cessé de décliner depuis. Il a ensuite été perçu comme un conflit asymétrique, opposant un Etat à des mouvements plus ou moins institutionnalisés, dont l’OLP devenait peu à peu la figure de proue.Les accords d’Oslo ont peu à peu effacé cette seconde version du même conflit. Il apparaît aujourd’hui de plus en plus comme le choc entre un Etat porteur d’un jeu de puissance et des acteurs sociaux dont la désorganisation, la faible organisation politique et la très grande marginalisation internationale ont fait le beau jeu des entrepreneurs de violences les plus intransigeants et des mouvements les plus radicaux.

D’un certain point de vue, on perçoit de plus en plus qu’on est face à un choix redoutable : ou devoir compter de plus en plus avec des mouvements incessamment radicalisés, ou regarder une société en face et lui reconnaître des droits. Ainsi réagit probablement l’opinion publique : le jeu des chancelleries est beaucoup plus lent, car elles ont du mal à imaginer les sociétés comme des paramètres pleins et entiers du jeu international.

Conformément à une grammaire bismarckienne périmée, les chancelleries occidentales se rattachent à un jeu interétatique, en fait complètement dépassé. Quel décalage entre les salons de Charm-el-Cheikh et les champs de bataille de Gaza, séparés de seulement quelques kilomètres.

De même, cette obsession de faire d’une Autorité palestinienne considérablement affaiblie et délégitimée ou de gouvernements arabes dits modérés mais extrêmement affaiblis des partenaires cruciaux de ce jeu conflictuel a quelque chose de sinon suicidaire, du moins largement improductif. La rupture ne sera achevée par rapport aux préjugés d’antan que si l’on s’émancipe de ces fictions et qu’on commence enfin à regarder, ce que l’on n’a jamais fait, la question palestinienne comme un objet en soi des relations internationales, et non comme un transit entre diplomaties tétanisées.


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