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© George – décembre 2024
Le Figaro
mardi 19 محرم 1431
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INTERVIEW (Propos recueillis à Jérusalem par Adrien Jaulmes) - Pour le pacifiste palestinien Sari Nusseibeh, Israël n’aura bientôt d’autre choix que d’intégrer sa population arabe.
Sari Nusseibeh, doyen de l’université al-Qods à Jérusalem et intellectuel palestinien engagé, avait été l’auteur en 2002 d’un plan de paix cosigné avec Ami Ayalon, ex-chef du Shin Bet, le service de sécurité israélien.
LE FIGARO. - La question de Jérusalem, qui a ressurgi en 2009, ne complique-t-elle pas la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens ?
SARI NUSSEIBEH. - Tout le monde n’a eu de cesse de reporter la question de Jérusalem. On redécouvre soudain que c’est sans doute le principal problème. Et aussi que les données de ce problème ne sont plus les mêmes. Alors que les négociateurs travaillaient dans leur bulle à une solution de paix, la ville a profondément changé : la situation de 1967 n’existe plus aujourd’hui, et le partage est devenu beaucoup plus difficile.
Quels sont ces changements ?
Géographiquement, la surface de l’agglomération est passée de 20 km² à 50 km² : dans cette grande Jérusalem, les Israéliens ont construit à l’est 13 nouveaux quartiers, où vivent à présent 250 000 Juifs, reliés entre eux par des voies rapides. Ils entourent les secteurs arabes de Jérusalem-Est et les séparent les uns des autres. Les Israéliens ont aussi créé de toutes pièces le concept de la « cuvette sainte », qui regroupe le quartier musulman de la Vieille Ville et les quartiers avoisinants, qui forment le noyau de la Jérusalem arabe. Ils y mènent une politique active d’expulsions, de destructions et d’expropriations, rendant de plus en plus difficile une éventuelle partition de Jérusalem.
La solution de deux États est pourtant soutenue par le monde entier ?
En 1967, l’un des premiers partisans de la solution à deux États était Uri Avneri (figure historique de la gauche pacifiste israélienne). Il n’avait à l’époque aucun soutien. Quatre décennies plus tard, ses idées ont eu un immense succès, puisqu’elles sont aujourd’hui partagées par le monde entier, jusqu’au président américain. Mais, pendant ce temps, la possibilité de créer deux États s’est évanouie. Même si je n’exclus pas la possibilité d’un miracle, je ne considère personnellement plus cette perspective comme réalisable.
C’est le résultat de la politique de colonisation israélienne ?
Les Israéliens ont appliqué en Cisjordanie la même politique qu’à Jérusalem. Cette extraordinaire ingéniosité coloniale s’est faite au détriment des populations. Les sionistes ont réussi en termes de béton et de macadam, de ce point de vue, ils existent. Mais en ce qui concerne la chair et le sang, ils restent des étrangers. Plus ils réussissent à bétonner, moins ils parviennent à créer une vraie démocratie et à s’enraciner dans la région.
Que vont devenir les Palestiniens sans État ?
Nous sommes toujours là, et c’est un paradoxe : en 1948, les Israéliens voulaient créer un État sans Palestiniens, et ils étaient presque parvenus à les chasser. En 1967, leur victoire a réunifié les réfugiés avec ceux qui étaient restés en Israël. Nous étions dispersés, ils nous ont réunis. Les Israéliens sèment leur propre échec par leurs succès. La colonisation de Jérusalem et de la Cisjordanie, qui rend impossible une solution à deux États, va obliger Israël à cohabiter avec une importante population arabe et à remettre en cause son système démocratique.
Pourquoi les Palestiniens ont-ils échoué ?
Nous avons échoué, c’est vrai, en partie à cause de notre incapacité à négocier, ou à comprendre la négociation, et en partie à cause de notre corruption. Pis encore, en jouant à la politique, en courant après un État, nous avons laissé se dégrader de façon considérable les conditions de vie de notre population. Il y a vingt ans, les Palestiniens de Gaza n’avaient aucun droit politique, mais ils pouvaient se rendre en Cisjordanie, ou même à Tel-Aviv, pour y travailler, aller à la plage, au restaurant. Mais nous avons aussi échoué à cause de l’autre partie, qui ne voulait rien nous donner. Aujourd’hui, la dynamique israélienne va à l’encontre de toute concession. Ils ne voient plus la nécessité d’un compromis. Les Israéliens ne pensent plus que de façon machiavélique, considérant que la force est la seule chose importante, qu’elle est la seule garantie de leur survie. Pourquoi seraient-ils intéressés par des négociations ?
Votre plan de paix conçu avec Uri Avneri est-il encore réalisable ?
J’en ai proposé plusieurs ! Le meilleur était sans doute celui que j’avais envisagé dans les années 1980, en demandant qu’Israël annexe purement et simplement les Territoires palestiniens. Au lieu de ça, ils ont pris le territoire, mais nous ont laissés sans droits. J’ai donc travaillé, avec Ami Ayalon, sur la solution de deux États. Nous nous étions mis d’accord autour de six principes, que nous avions choisis parmi les concessions les plus douloureuses, pour que tout le monde les voie bien et que les gouvernements soient contraints à les accepter. Jérusalem figurait parmi ces points. C’est à cette époque que Mahmoud Abbas a signé la Feuille de route, en 2003. Je pensais déjà que c’était une erreur.
Que préconisez-vous aujourd’hui ?
Le dernier plan que j’ai proposé est une lettre que j’ai envoyée il y a six mois à Obama et à George Mitchell. Je leur propose d’arrêter immédiatement des négociations devenues inutiles : toutes les questions ont été plus ou moins réglées, ne restent que les points insolubles. À la place, les États-Unis devraient proposer eux-mêmes la solution aux problèmes restants. Chaque camp proposerait ce plan par référendum à sa population. Le vote aurait lieu le même jour, et la réponse serait conditionnée à l’acceptation de l’autre partie.
Quelle perspective reste-t-il aux Palestiniens ?
Ma prochaine proposition sera de demander à Israël de nous annexer, en nous acceptant comme des citoyens de troisième catégorie. Les Palestiniens bénéficieraient des droits élémentaires, le mouvement, le travail, la santé, l’éducation, mais n’auraient aucun droit politique. Nous ne serions pas des citoyens, seulement des sujets.