Middle East Watch

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Les amants de Sion

Une majorité d’idées pour Israël - Le travestissement de l’histoire

Extrait de ITINERAIRES DE PARIS A JERUSALEM - 1992 - Les Livres de la Revue d’études Palestiniennes

8 شوال 1427, par Farouk Mardam-Bey, Samir Kassir

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La fixation sur les années 30 procédait évidemment de l’équivalence posée entre Nasser et Hitler et se nourrissait du poids de la question juive européenne. Mais en s’obnubilant sur Munich, on réussissait surtout à faire passer l’offensive pour une mesure de sauvegarde. On postulait ainsi que, par la nationalisation du canal de Suez, Israël se retrouvait encerclé et risquait d’étouffer. C’était oublier d’abord qu’lsaël disposait d’une large façade méditerranéenne et, ensuite, que la circulation des navires israéliens dans le canal de Suez était déjà interdite quand la voie était sous contrôle de la Compagnie. D’un autre côté, la thématique de Munich avait l’avantage d’induire la nécessité d’agir pour prévenir " la " guerre. Ainsi Guy Mollet déclarait-il devant le groupe parlementaire socialiste, le soir où il fit avaliser l’ultimatum franco-britannique par l’Assemblée : " Si des camarades pensent qu’il faut abandonner Israël et laisser la victoire à Nasser, la "vraie guerre’’ aura lieu prochainement ." D’autres personnalités, de sensibilité différente, s’exprimèrent dans le même sens, comme François Mitterrand qui, présentant la déclaration gouvernementale devant le Sénat ce soir-là, fit valoir que " la paix serait incontestablement mieux préservée par notre action que par notre inaction ", ou Georges Bidault qui, quelques semaines plus tôt, soutenait : " Si l’on veut une grande guerre à terme et la petite guerre partout, il suffit de laisser faire Nasser. " Cette thématique servira encore à l’heure du bilan.

Au cours du débat parlementaire des 19 et 20 novembre, plusieurs députés tentèrent de justifier l’opération par l’artifice de la menace soviétique au Proche-orient. Mais la ficelle était trop grosse, et Mendès France eut beau jeu de répliquer qu’on avait " inventé après coup l’idée surprenante que l’opération de Suez avait eu un avantage, celui de devancer un coup militaire russe " . Plus durable sera l’argument israélien. Car la focalisation sur israël et la question juive n’a pas cessé avec la fin de la campagne de Suez. Elle perdure dans les représentations qu’on garde aujourd’hui en France de Suez et dans les versions qu’en donnent les acteurs français, Pineau et Abel Thomas dans leurs ouvrages respectifs, Mollet et Bourgès-Maunoury dans leurs réponses aux différents auteurs et journalistes qui ont pu les interroger par la suite. Sans doute prolongent-ils par là l’auto-intoxication qui, à l’époque, les avait conduits à cette complicité dans l’aventure. Mais on ne peut s’empêcher d’y voir aussi la volonté de sauver les meubles devant l’histoire, dans la me- sure où, des trois coalisés, c’est pour israël seulement que l’affaire de Suez ne s’est pas soldée par une défaite politique, l’installation des Casques bleus ayant écarté la " menace " , au demeurant plus fantasmée que réelle. Encore faut- il voir que, en s’abritant derrière la force de l’ONU pour essayer de sortir moralement vainqueurs de cette affaire, les héros de Suez ne font que reconduire leur mauvaise foi, car le gouvernement français n’avait pas accepté de gaieté de cœur le recours à l’ONU, contestant la légalité de la convocation de l’Assemblée générale et opposant, à plusieurs reprises, un vote négatif aux projets de solution. Mais on comprend que, avec le discrédit que jeta finalement l’affaire de Suez sur la IVe République, un Mollet ou un Pineau n’aient eu de cesse de rappeler les aspects qu’ils jugeaient positifs de l’intervention.

Ce travestissement de l’histoire a pu se faire avec d’autant plus de facilité que peu de gens, parmi la majorité belliciste, revinrent sur leur position. Si le fiasco de Suez apparaît comme une date importante sur la voie de la désagrégation de la lVe République, sur le moment la majeure partie de la classe politique n’en tira aucune leçon. A Londres, le dis- crédit qui frappa Eden l’amena en quelques semaines à abandonner et le gouvernement et la politique. A Paris, il fallut attendre encore sept mois pour voir le cabinet de Guy Mollet tomber. Encore était-ce pour des raisons totalement indépendantes de Suez. La relève fut d’ailleurs prise par un autre héros de l’expédition, Bourgès-Maunoury, Christian Pineau restant ministre des Affaires étrangères. Une telle impunité confirme que l’état d’esprit dominant en France depuis la nationalisation du canal de Suez n’avait pas été affecté par l’issue de la guerre. Et, chez ceux qui se montraient critiques, la sévérité du jugement porté sur l’aventure franco-britannique était tempérée, voire neutralisée, par l’indulgence envers la politique israélienne. Ainsi d’Edouard Depreux et de Mendès France lui-même. Ce dernier déclarait en décembre 1956 : " On peut comprendre le réflexe défensif des citoyens assiégés d’Israël, menacés par un danger qui s’aggravait de jour en jour, et leur décision de briser le siège afin d’éliminer une partie des dangers immédiats qui les entouraient " .


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